MANIFESTE
MARIE-PIERRE DILLENSEGER
En 1999, quand j’ai fondé PowerSpaces, peu de personnes parlait de Feng Shui ou d’astrologie chinoise. Ces sujets étaient inconnus, suspects et tabous, la risée des sinologues. L’essence de ces disciplines, pourtant plurimillénaires, demeurait cachée au fond de textes obscurs, inaccessibles aux néophytes et difficilement applicables. Seuls les acupuncteurs de la deuxième génération pratiquaient l’énergétique chinoise dans des cabinets confidentiels dont l’adresse ne circulait qu’entre avertis. Le mien, octogénaire, continuait à sautiller, le sourire aux lèvres, d’une cabine de soin à l’autre. L’on s’arrêtait encore, ébahis ou rigolards, devant les rares cours de Tai qi ou de Qiqong pratiqués à Paris. La géobiologie pointait son nez, déjà utile mais encore incomprise. Il fallait aller en Suisse ou en Inde pour se faire soigner autrement. C’est ainsi que ma mère a complété son traitement de chimio par des plantes que la médecine française lui-refusait. La nouvelle version française du Yi Jing n’était pas encore publiée (2002). C’était un autre temps.
Mon objectif initial était d’approfondir et de partager un travail de recherche personnel sur l’énergie des lieux et leur impact sur la personne. Cette quête de sens et de connaissances avait été attisée depuis l’enfance par l’énigmatique présence d’objets chinois dans la maison familiale. A leur contact, en un instant, je me retrouvais dans un ailleurs étrange et familier, nourrie de douceur, de savoirs et de mémoires. Celles-ci s’invitaient en images, en histoires et en coïncidences. Ma propre découverte du Yi Jing en 1977 (version de Richard Wilhelm) retissait une trame très ancienne dont le sens avait été perdu. Si rien n’indiquait une carrière de thérapeute ni d’auteur dans mon parcours initial, les dés avaient été lancés depuis longtemps. Et les circonstances (une maladie grave et un pronostic vital engagé) comme l’écoute d’une voix intérieure m’ont poussée au saut dans l’inconnu, au sacrifice d’une carrière établie pour une voie inédite, improbable, où tout en France, à la fin des années 90, était à tracer.
Celle que je n’étais pas devait céder la place à celle que je retrouvais au fil des lectures, des questions et des apprentissages. Le chemin s’est clarifié par le conseil de mon Maitre Chinois : « Now you should teach. » Enseigner le Feng Shui ? en France ? N’était-ce pas là une folie, une inconscience, un échec planifié ? J’ai pourtant démarré la formation professionnelle des praticiens (avec numéro d’agrément) en 1999 à Paris dans un lieu magique, la maison Saint François Xavier. Mes cours y provoquaient l’ouverture spontanée de la porte de la bibliothèque attenante, pourtant bien fermée ! J’y ai vécu des échanges passionnants et fertiles avec Anne Ancelin Schutzenberger. J’y ai formé pendant douze ans une première génération de praticiens francophones en Xuan Kong Feng Shui et Bazi. Comme ces jésuites partis en terre étrangère pour transmettre leur foi, j’ai transmis inlassablement ma passion des disciplines chinoises liées à l’espace et au temps. Ces années d’enseignement en territoire vierge ont été un sacerdoce, un effort immense et sincère au service de ponts entre une pensée occidentale, linéaire et logique, et une pensée ancestrale chinoise, globale et pragmatique, au service du renforcement de l’énergie vitale.
Par désir de partager plus loin, plus fort et plus profond, au-delà des cours et des consultations, j’ai ajouté l’écriture à mes journées déjà pleines. J’ai passé des années à écrire, communiquer et alerter sur l’urgence à nourrir les forces vitales. Cette responsabilité appartient à chacun mais mon objectif de rendre l’individu autonome sur son chemin de vie, équipé d’une discipline personnelle et d’outils, efficaces et simples, à déployer reste entier. Puis sont arrivées les vagues du Feng Shui occidental, des thérapies nouvelles, brèves et la renaissance du chamanisme.
J’ai le bonheur, avec d’autres précurseurs, d’avoir initié un engouement phénoménal pour les pratiques énergétiques et stratégiques chinoises. J’ai aussi la douleur de voir ces outils sacrés, au service du vivant, se diluer dans un ensemble de méthodes de développement personnel. Comme si l’essence présentée au monde se devait périodiquement de retourner dans l’ombre qui la protège des simplifications et des excès. Ce ne sont pas les méthodes qui font l’impact mais la qualité du praticien, son âme, son exigence et son allégeance aux forces de vie.
Arrive le moment où expliquer encore est une perte de temps. Le temps du retrait et du réalignement avec l’essence de ma pratique est là. La quête de sens n’a jamais cessé et se continue. Je reste ponctuellement présente sur les réseaux sociaux mais reviens pleinement à la recherche et aux consultations. Mes livres sont des guides pour aller vers soi et trouver son chemin propre.
Marie-Pierre Dillenseger,
Cambridge, Massachusetts, Février 2024
1) Yi Jing, traduction de Cyrille Javary et Pierre Faure, Albin Michel, 2002, 2012.
2) Yi Jing, traduction de Richard Wilhelm, Librairie de Medicis, 1973
3) Schutzenberger, Anne Ancelin, Aie mes aieux!, Desclee de Brouwer, 1993